Quel est le rôle de l’employeur dans la démarche de la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) ?
Entretien avec Marise Delisle, experte-conseil

Le Québec est confronté à un phénomène croissant de pénurie de main‑d’œuvre qui n’épargne pas le secteur minier. La RAC est un excellent moyen d’amener un employé ayant abandonné la voie typique à suivre un parcours personnalisé dans le but d’obtenir un premier diplôme. Ainsi, un bilan de ses compétences et les éléments à améliorer est dressé. Un accompagnement lui est également offert pour les notions qu’il doit acquérir pour compléter la formation. Ce peut être de courtes formations d’appoint, des capsules vidéo, de la pratique dans les ateliers du centre de formation ou en entreprise. Aider ses employés à reconnaître leur expérience apporte plusieurs bienfaits de part et d’autre.
Dans son dernier « Portrait de la formation dispensée par les entreprises minières à leur personnel », l’Institut national des mines a constaté qu’il y avait eu une augmentation du nombre d’entreprises qui embauchaient une main-d’œuvre dans un poste d’entrée détenant un diplôme, notamment un diplôme d’études professionnelles. Tout un chacun, dans son milieu de travail, développe des compétences. La reconnaissance des acquis et des compétences est une démarche qui permet à une personne adulte de faire valoir et de faire reconnaître officiellement ses compétences en fonction d'un programme d'études. Cette démarche, accompagnée tout au long par des professionnels et des spécialistes, prend en compte les compétences acquises au fil du parcours de vie professionnel et personnel, comble certaines lacunes par des moyens de formation diversifiés et adaptés à la réalité d’un adulte et réduit le temps nécessaire à l’obtention d’un diplôme. Voici un entretien réalisé avec l’experte-conseil au Centre d’expertise en reconnaissance des acquis et des compétences (CERAC), Mme Marise Delisle, du Centre de services scolaire de la Beauce-Etchemin, qui nous présente la RAC sous l’angle des ressources humaines en entreprise.

1- Pouvez-vous nous parler du fonctionnement de la reconnaissance des acquis en entreprise ?
La RAC en entreprise est un terme large qui englobe plusieurs possibilités. Lorsqu’on parle de l’entreprise, on fait référence au lieu où la démarche de RAC peut se dérouler pour les individus. Lorsqu’on parle de l’employeur, on fait plutôt référence à l’instance décisionnelle qui va permettre au centre de services scolaire (CSS) d’offrir le service aux individus directement dans leur milieu de travail. Cette collaboration possible avec l’employeur peut prendre différentes formes.

2- Est-ce facile à mettre en place au sein d’une organisation?
C’est justement plus facile à instaurer lorsque le processus est fait conjointement avec l’employeur et c’est plus significatif pour l’entreprise. Lorsque la volonté est là, nous sommes capables de tout faire. Tout d’abord, nous devons mettre une stratégie en place et avoir un bon système de communication entre le Centre de services scolaire et l’entreprise. Dans le secteur minier, l’enjeu de la distance peut parfois être une entrave à la démarche. Lorsque les valeurs de formation continue font partie de l’entreprise, c’est plus facile à mettre en place puisque celle-ci y voit une plus-value pour les travailleuses et les travailleurs diplômés. Le spécialiste en contenu fait preuve de transparence et les candidats doivent s’engager au cœur de la démarche.
L’implication de l’employeur à chacune des étapes de la démarche

3- Quels sont les avantages de la RAC pour l’entreprise ?
La RAC augmente la qualification, surtout en contexte de pénurie de main-d’œuvre. Elle permet de cibler des gens ayant le profil pour faire une reconnaissance des acquis. Les personnes qui travaillent déjà dans le secteur des mines ne retourneront pas à l’école à temps plein pour obtenir un diplôme pour un programme d’études dont ils exercent la plupart des tâches. C’est à ce moment qu’il sera possible d’évaluer ces personnes, sans qu’elles aient à réapprendre des choses qu’elles savent déjà. Cette démarche a le grand avantage de valoriser les apprentissages expérientiels réalisés. Par contre, les évaluations et les formations d’appoint permettent de développer une plus grande autonomie et davantage de polyvalence. Les entreprises notent une grande amélioration du travail des candidates et des candidats. Ils détiennent une meilleure compréhension en ce qui a trait à la santé et à la sécurité. La RAC officialise la démarche professionnelle. Le fait de travailler dans un secteur d’activité avec un diplôme en poche lié à ce secteur leur fait souvent réaliser qu’ils détiennent maintenant une carrière et non seulement un emploi.
4- Quels sont les avantages pour les employés?
La RAC est un processus très profitable pour les employés. Elle améliore leurs qualifications et accroît leurs chances d’avancement. Elle permet de préciser leurs besoins de formation ou de perfectionnement. Elle établit les compétences maîtrisées et celles qui sont manquantes. Elle permet bien sûr d’obtenir une reconnaissance officielle des ministères de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur par l’obtention d’un diplôme.

5- Voyez-vous la RAC comme un outil de rétention?
Oui, ceux et celles qui collaborent à la RAC sont considérés comme des employeurs de choix. La démarche RAC aide à assurer la pérennité de leur entreprise. C’est une fierté pour la personne et une reconnaissance de ses capacités. L’entreprise valorise l’éducation et cela aide à son rayonnement. Être en mesure de garder ses employés constitue un enjeu majeur pour les entreprises, surtout en contexte de rareté de la main-d’œuvre. La RAC devient alors un outil de rétention de premier choix puisqu’elle aide à fidéliser les employés. Le fait qu’une entreprise soutienne ses employés dans un processus de RAC envoie le message qu’ils peuvent être reconnus dans leurs compétences et en développer de nouvelles, donc évoluer. De plus, cela permet de maintenir certaines exigences pour l’obtention de postes dans l’entreprise dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre qualifiée.
6- La RAC est-elle aussi un outil de valorisation?
En effet, plusieurs personnes ont eu l’étiquette de décrocheur et la RAC permet de valoriser les employés en reconnaissant leurs compétences et en les menant à l’obtention d’un diplôme officiel. Je me réjouis toujours de voir leurs yeux brillants et remplis de fierté lors de la remise de diplômes. C’est vraiment beau à voir.
7- Pourquoi les employés devraient faire reconnaître leurs compétences?
Entreprendre un processus de RAC permet aux employés d’actualiser leurs compétences. Ils peuvent ainsi transformer leur savoir et leurs expériences en diplôme. Il y a un grand sentiment de fierté qu’on voit chez nos personnes diplômées par la RAC, surtout lorsque c’est leur premier diplôme. De plus, avoir un diplôme leur ouvre souvent de nouvelles portes dans leur propre organisation.
8- Comment percevez-vous votre rôle d’experte-conseil en reconnaissance des acquis et des compétences pour le Centre d'expertise en RAC?
Je me considère privilégiée d’exercer ce travail puisque j’ai la chance d’aider et d’accompagner les conseillers en RAC qui soutiennent plusieurs candidates et candidats dans une première diplomation. Avec les entreprises, nous trouvons une façon de les valoriser, de mettre à l’avant-plan leurs compétences et de leur faire développer la valeur de la formation continue. Plusieurs, par le passé, se sont sentis très malheureux à l’école et associaient les études de façon négative, donc je leur montre une autre facette de l’école en passant par la reconnaissance des acquis et des compétences.
J’outille le réseau pour la RAC en entreprise. Plus d’une trentaine d’outils ont été développés jusqu'à maintenant. Je donne beaucoup de formations et j’analyse les besoins selon les secteurs d’activité et je suis là pour répondre aux questions
9- Pouvez-vous nous parler de votre guide publié en 2020 sur les bonnes pratiques de reconnaissance des acquis et des compétences en entreprise?
Les professionnels de la RAC apprécient le Guide sur les bonnes pratiques en reconnaissance des acquis et des compétences en entreprise, un outil concret auquel se référer. La réponse de ces professionnels a été très positive. J’ai animé un réseau d’échange sur la RAC en entreprise. Il faut garder en tête que, d’un secteur à l’autre, ce n’est pas la même approche. Ce guide a permis d’inspirer les autres.
10- Quelles sont les conditions pour repérer et dépister tant les employés que les entreprises susceptibles d’entreprendre une telle démarche?
- Les travailleurs n’ont pas de diplôme dans le domaine ciblé.
- Les tâches effectuées actuellement par les travailleurs font partie d’un programme d’études.
- Les compétences à développer sont directement en lien avec une ou des compétences d’un programme d’études.
- L’employeur souhaite reconnaître officiellement les compétences de ses employés.
- L’employeur souhaite s’impliquer dans toutes les étapes de la démarche.
- Les fonctions de travail et l’organisation du travail permettent de faire l’évaluation des compétences des travailleurs.
- L’employeur adhère au caractère non disciplinaire de la démarche, il s’engage à ce que la démarche ne débouche pas sur un licenciement, mais sur un plan de formation.
11- Quel est votre parcours pour l’obtention de votre poste actuel?
J’ai un premier diplôme d’études collégiales en aménagement forestier. J’ai travaillé dans le nord des forêts québécoises. Je me suis vite rendu compte que ce type de travail ne correspondait pas à ma personnalité. Je suis donc allée consulter une conseillère en orientation qui m’a convaincue que j’avais un profil de type universitaire. J’avais cette peur d’aller à l’université et dans ma tête c’était inaccessible. Pourtant, je me suis retrouvée parmi les meilleures élèves et j’ai réussi mon baccalauréat en relations industrielles à l’Université Laval avec brio. Dès la fin de mes études, j’ai travaillé en ressources humaines pour une entreprise manufacturière. En 2008, mon poste a été aboli et c'est pourquoi je suis entrée au Centre de services scolaire de la Beauce-Etchemin en tant que conseillère en entreprise pour les programmes de formation professionnelle. J’ai occupé ce poste pendant huit ans. J’ai ensuite pris la relève d’un collègue pour la RAC en entreprise et pour le développement des interventions en entreprise. Je suis notamment responsable du Centre d’expertise et mon rôle est de trouver des avenues novatrices pour développer l’offre de services et faire les choses différemment.