Formation professionnelle : partenariat et mine 4.0
Cette réflexion s’inscrit dans la mission de l’Institut national des mines dont le conseil d’administration regroupe 18 représentants de l’entreprise privée, des établissements publics des trois ordres d’enseignement, des syndicats et des ministères concernés par l’éducation, l’emploi et les mines. Ensemble, nous anticipons le futur pour agir sur les modes d’enseignement en prenant appui sur le partenariat, l’innovation et la réalité des trois régions minières du Québec.
La mine 4.0 représente le premier élément de cette réflexion. Elle offre un environnement de travail transformé. En Australie, on trouve déjà des mines de très grandes dimensions où les engins miniers sont automatisés, programmés et supervisés depuis une salle de contrôle qui se situe en milieu urbain, très loin des zones minières. Il devient donc nécessaire que le personnel de ces mines maîtrise de nouvelles compétences techniques et cognitives qui permettent de superviser à distance les opérations minières de dynamitage, chargement et transport du minerai.
Cette nouvelle façon d’opérer les mines à distance a un impact majeur sur la formation professionnelle. Comme on peut le constater en Australie, elle contribue à positionner la formation professionnelle comme une porte d’entrée au marché du travail offrant un parcours de formation tout au long de la vie pouvant mener ultimement à l’université.
De plus, dans ce pays les établissements d’enseignement privés et publics et les entreprises qui offrent de la formation professionnelle accèdent au financement de l’État sur la base de la réussite des élèves plutôt que sur la base du nombre d’inscriptions à un programme. L’évaluation de compétence se fait en entreprise par des instructeurs accrédités, ce qui représente un autre contraste saisissant avec la situation prévalent au Québec. Finalement, l’existence d’un dossier unique de formation qui accompagne chaque personne tout au long de sa vie représente un dernier point de comparaison à l’avantage de l’Australie.
Toutefois, l’Australie et le Québec font face au même objectif et au même défi, celui de former des personnes dans le contexte de la révolution industrielle 4.0 qui oblige à revoir nos modes de formation dans toute la sphère économique, pas seulement dans les mines. Il s’agit du second élément de cette réflexion.
Désormais, tous les pays de l’OCDE sont confrontés au fait que les ordinateurs d’usage courant dans les entreprises atteignent maintenant un niveau de performance critique en littéracie, numératie et résolution de problèmes informatiques. Actuellement, seulement 13% des travailleurs maîtrisent ces compétences à un niveau supérieur à celui d’un robot. De plus, aucun pays de l’OCDE n’est en mesure d’augmenter la maîtrise de ces 3 compétences pour que la majorité de sa population atteigne un niveau dépassant la performance actuelle des ordinateurs (Stuart W. Elliott, Educational Research and Innovation : Computers and the Future of Skill Demand, OECD, 2017).
Dans le contexte de la révolution industrielle 4.0, la formation professionnelle doit s’adapter pour permettre aux travailleurs d’intégrer dans leurs tâches quotidiennes une collaboration accrue avec des équipements automatisés.. Les impacts de ce changement majeur se répercutent à la fois sur le contenu et sur la capacité de mise à jour de plusieurs programmes de formation professionnelle.
Un partenariat accru entre l’entreprise et le secteur de l’éducation est essentiel en premier lieu pour mobiliser le personnel des entreprises et des établissements d’enseignement, car la liste des inquiétudes légitimes du personnel face à ce changement est longue.
Les risques à considérer pour répondre aux inquiétudes du personnel peuvent être sociaux, éthiques, juridiques, stratégiques ou même géopolitiques. À titre d’exemple, dans une mine automatisée les équipements de protection individuels (EPI) des travailleurs sont dotés de capteurs qui mesurent la température, le rythme cardiaque et la pression artérielle. Ce sont là des informations personnelles dont il importe de garantir la confidentialité.
Lorsque le personnel est mobilisé, le partenariat permet par la suite d’insuffler l’agilité nécessaire pour que l’exploitant de la mine 4.0 dispose d’un personnel qui maîtrise des compétences de plus en plus diversifiées. On ne parle pas ici uniquement de compétences numériques. Les compétences cognitives transversales sont également essentielles pour évoluer et performer dans un environnement de plus en plus automatisé.
La mine 4.0 bénéficie également de l’apport de la réalité virtuelle qui représente de plus en plus un outil indispensable à la planification minière, à la formation et à la sécurité des travailleurs. Cette technologie permet d’immerger les utilisateurs dans un environnement minier simulé, afin de tester de nouvelles opérations en toute sécurité. La simulation par le numérique est notamment utilisée pour reproduire au ralenti les séquences de dynamitage, ce qui permet d’améliorer le forage et l’utilisation d’explosifs, un gain de productivité important.
Appliquée à la formation professionnelle, les environnements numériques immersifs et la simulation offrent de grandes opportunités de partenariat entre l’entreprise et les établissements d’enseignement public. En effet, elle représente un outil puissant de formation par simulation donnant par la suite accès aux élèves à des équipements de pointe disponibles uniquement en entreprise. Exposés plus rapidement au contexte de travail, les élèves acquièrent des compétences techniques tout en diversifiant leurs compétences molles. De plus, par des échanges informels avec les travailleurs ils comprennent rapidement
l’importance de varier leur expertise en continuant leur apprentissage tout au long de la vie.
Le partenariat avec l’AMQ et le CSMO Mines a permis à l’INMQ d’amorcer dès 2017 une démarche d’inventaire des compétences du 21ième siècle en lien avec les nouvelles technologies. Cette démarche de l’INMQ se poursuivra encore un certain temps car elle répond à un enjeu du plan stratégique 2018-2023 qui vise l’actualisation de l’offre de formation.
Le partenariat permet aussi d’estimer les besoins de main d’œuvre, un prérequis essentiel à une démarche structurée d’adéquation formation-emploi qui valorise les compétences transférables d’un secteur économique à un autre.
Au Québec, le secteur des mines dispose depuis 2010 de prévisions des besoins main d’œuvre régionalisés. Ces données sont mises à jour aux deux ans. La dernière édition 2017-2021 offre des prévisions pour les 5 prochaines années et des tendances sur 10 ans pour chacune des trois régions minières. Cinq organisations et 22 entreprises minières participent à cet exercice de concertation original.
Toutefois, même les estimations les plus récentes peinent à voir venir l’impact sur l’emploi des nouvelles technologies en émergence. Par exemple, les emplois miniers actuellement les plus en demande sont aussi ceux qui sont les plus vulnérables à l’automatisation, puisqu’il s’agit de postes nécessitant la réalisation de tâches manuelles exécutées dans un environnement prévisible.
Dans les centres de contrôle de la mine du futur, un opérateur d’engins miniers mobiles utilise ses compétences numériques, cognitives, sociales et situationnelles plutôt que ses compétences techniques pour gérer une flotte de véhicules par ordinateur. Il n’est donc plus nécessaire de savoir conduire l’un ou l’autre de ces engins spécialisés. Par conséquent les programmes d’opérateurs d’engins mobiles menant à un DEP offerts au Québec risquent de devenir caduques, ce qui inclus les opérateurs d’engins miniers mobiles et les foreurs.
Certains de ces cours ne sont pas spécifiques au domaine minier mais ils partagent tous deux caractéristiques communes. Les exigences à l’inscription sont modestes et la durée du cours est brève (un an ou moins). Selon tous les critères considérés en lien avec une automatisation accrue des mines, la vulnérabilité des emplois actuellement offerts à l’entrée du marché du travail aux finissants de ces programmes est énorme.
La valorisation des données rendue possible par l’Internet des objets est une autre composante de la révolution 4.0 susceptible d’impacter la formation professionnelle. L’internet des objets exige un système de télécommunication mobile à haut débit, fiable et sécuritaire. Il nécessite également d’équiper les travailleurs, les engins et les outils de capteurs numériques variés, de logiciels spécialisés et d’appareils sans fil.
L’analyse en temps réel des données recueillies par les capteurs installés sur les engins mobiles permet notamment de planifier la maintenance prédictive (entretien et actions correctives) de ces équipements, ce qui augmente la productivité, diminue le nombre de pannes et réduit la durée des arrêts de travail non planifiés.
L’impact des analyses de type Big Data sur les programmes de formation professionnelle qui mènent à des emplois de maintenance des équipements est toutefois limité. En effet, les diplômés de ces programmes sont mieux outillés que ceux qui sont affectés directement par l’automatisation. Leurs compétences de base sont meilleures et leur formation technique est plus longue ce qui leur permet plus facilement de s’ajuster pour faire face aux changements reliés à de nouvelles tâches associées à la maintenance prédictive plutôt que préventive.
En conclusion, la mine automatisée existe déjà et le partenariat entre les établissements d’enseignement et les entreprises minières l’aidera à se déployer au Québec. Pour en tirer les bénéfices escomptés il sera toutefois nécessaire de mieux positionner la formation professionnelle, de former davantage en situation de travail et d’offrir en entreprise des parcours de formation tout au long de la vie.
La liste des défis à relever est longue. Revoir le processus d’actualisation des programmes, développer davantage les possibilités de concomitance et les passerelles DEP-DEC-BAC, mettre l’accent sur la reconnaissance des compétences et innover dans les modes d’enseignement, notamment l’apprentissage par simulation pour faciliter l’accès des élèves à des équipements de pointe en contexte de travail.
À cet égard, il est intéressant de constater que les téléphones intelligents des élèves sont aussi des ordinateurs de poche très performants admirablement bien adaptés pour multiplier rapidement et à faible coût les apprentissages par simulation.
En terminant, rappelons simplement que dans le contexte de la révolution 4.0 le niveau de compétences nécessaire à l’entrée en fonction en entreprise augmente. La formation professionnelle devra s’adapter en conséquence car les programmes qui ont des conditions d’admission inférieures peu d’exigences à l’inscription sont aussi les plus vulnérables à l’automatisation.