Mine 4.0: innovation de rupture...vraiment ?
Alors que l’on peut percevoir l’automatisation et le big data comme des innovations de rupture dans l’industrie minière, il apparaît plutôt que ces changements se soient graduellement installés dans l’un des pays miniers les plus technologiquement avancés au monde, l’Australie. La récente mission exploratoire réalisée par l’Institut national des mines a permis d’en apprendre davantage sur l’utilisation des nouvelles technologies pour l’exploitation des ressources en Australie ainsi que sur les modes de formation mis de l‘avant pour le développement des compétences liées à cette nouvelle réalité.
Véhicules autonomes
L’une des technologies ayant démontré le plus grand impact au niveau de la productivité est sans doute l’utilisation de véhicules autonomes.
La mine Hope Downs 4 de Rio Tinto est située dans le bush de l’Australie occidentale au nord de la ville de Perth. Elle produit annuellement 17 millions de tonnes de fer à 65 % Fe2O3. L’approvisionnement en minerai alimenté par une impressionnante flotte de camions autonomes de 250 tonnes est contrôlé à distance par seulement deux opérateurs. Ces opérateurs, eux, sont confortablement installés au Integrated Remote Control Centre (IRCC) de Rio Tinto à Perth, soit à 1500 km de la mine. Leurs postes de travail sont constitués d’un ordinateur, d’un clavier et d’une souris couplés à 8 écrans. Ils disposent également d’un casque d’écoute car les échanges téléphoniques avec le personnel situé à la mine sont fréquents (jusqu’à 100 appels par jour).
Le système informatique qui permet de planifier et de suivre à distance les déplacements des camions autonomes informe les opérateurs en temps réel de la localisation de chaque camion. Il précise également plusieurs caractéristiques propres à chacun, tels sa vitesse, le poids de son chargement et sa destination. La souplesse du système utilisé à la mine Hope Downs 4 permet à un camion autonome de détecter un obstacle imprévu situé sur sa trajectoire, de ralentir et de le contourner tout en demeurant à l’intérieur des limites dans lesquelles il est autorisé à circuler.
La formation nécessaire au déploiement de cette technologie est offerte directement par les fabricants d’équipements. Dans le cas du personnel présent à la mine Hope Downs 4, et qui partage l’espace de travail avec des camions autonomes, les fabricants ont formé en priorité les formateurs de l’entreprise. Après une période de rodage, les formateurs de Rio Tinto ont pris la relève auprès de l’ensemble du personnel minier.
En ce qui concerne les critères d’embauche de ces opérateurs, la priorité est accordée aux habiletés et aux compétences comportementales. Les connaissances techniques viennent au second plan. Ainsi, ce centre IRCC regroupe un nombre limité d’experts en informatique. Les emplois sont surtout occupés par des opérateurs à distance. Deux opérateurs suffisent pour contrôler les 17 camions autonomes déployés à la mine Hope Downs 4.
Le contrôle à distance d’une flotte de véhicules mobiles automatisés représente sans doute le gain de productivité le plus important associé à la révolution industrielle 4.0. Le déploiement de cette technologie ne serait pas possible sans un système de communication sans fil ultra performant.
Big data Les systèmes de communication utilisés permettent également de recueillir beaucoup d’information (big data) à propos des équipements. Le traitement de ces données est particulièrement efficace pour la prise de décision en temps réel. Par exemple, l’envoi en permanence d’information provenant des équipements au système informatique permet de faire la maintenance prédictive des véhicules. Ce domaine d’activité propre à l’ère industrielle 4.0 se situe au second rang en termes de gain de productivité pour l’industrie minière. La maintenance prédictive, juste à temps plutôt que juste au cas, nécessite l’instrumentation des véhicules et des équipements avec une gamme complète de capteurs disponibles sur le marché. Selon les données recueillies, par exemple sur le degré d’usure d’une pièce ou sur l’état des pneus, la maintenance mécanique des véhicules est planifiée. La maintenance prédictive permet d’une part d’éviter les bris d’équipement coûteux, et d’autre part, de maintenir un rythme de production soutenu.
La maintenance prédictive nécessite une formation spécifique tant pour les dirigeants que pour les travailleurs à la mine. En effet, ces derniers doivent être conscients de la présence et de l’importance des différents capteurs installés sur les véhicules et les équipements. Ils doivent maîtriser une connaissance de base suffisante de leur utilité et de leurs caractéristiques pour être en mesure de les entretenir et de détecter une défaillance potentielle.
En ce qui concerne l’embauche d’analystes du big data, les entreprises minières doivent faire face à des rivaux tels qu’Apple, Google, Samsung, etc. Attirer ces gens dans le secteur des mines représente un véritable défi.
Le virage 4.0
L’implantation d’innovations en entreprise minière ne se fait pas du jour au lendemain et implique nécessairement la question du changement de culture organisationnelle. Non seulement faut-il une transformation numérique des systèmes et des équipements, mais également une transformation des modes de gestion, des modèles d’affaires et de la formation de la main-d’œuvre. Intégrer un ensemble de technologies innovantes à la mine peut être facilité par la création d’une unité de gestion chargée spécifiquement de cette question. Cette unité est alors mandatée pour prendre connaissance rapidement des innovations qui fonctionnent dans une partie de la chaîne de valeur et favoriser leur implantation dans toute l’entreprise. L’innovation venant de l’intérieur même des organisations, souvent mieux perçue, est ainsi privilégiée.
En Australie, les façons de faire actuelles découlent d’une longue suite d’innovations incrémentales dans les opérations en poursuivant un but précis et défini à l’avance, alors que de l’extérieur, l’opération de mines à distance apparaît comme une innovation de rupture. Toutefois, les pierres de la mine du futur ont été posées une à une, systématiquement, et chaque valeur ajoutée a permis d’améliorer la productivité sans créer de dysfonctionnement.
Après 10 ans, le centre intégré de contrôle à distance de Rio Tinto apparaît comme une innovation de rupture à toute compagnie qui n’a pas encore pris ce virage technologique alors que les Australiens ne l’ont pas vécu comme tel. Toutefois, on parlera d’innovation de rupture pour les compagnies qui décideront désormais d’implanter dès l’ouverture d’une nouvelle mine l’ensemble des technologies numériques disponibles.